jeudi, août 18, 2005

En attendant...

texte envoyé à Coïtus


Le croque-mort prenait un plaisir sadique à fixer ma gueule d’enterrement.
Et cet autobus qui n’arrivait pas.
Je me demandais bien ce qu’il me voulait, le funèbre. Me pomper? Non, pas son genre. Il se contentait de m’observer de ses yeux hépatiques, grattant nerveusement un ongle cornu sur le filet de son menton. Il commençait sérieusement à m’énerver, me foutait franchement la trouille, en fait.
Je décidai de prendre le diable par les deux cornes.

– Vous voulez ma photo?
Surpris dans sa méditation, il s’avança vers moi et se racla la gorge. À glacer un popsicle.
– Pardonnez-moi jeune homme, mais je suis sondeur pour la maison Pesant-Pesant et vous me semblez être le candidat idéal pour notre sondage d’aujourd’hui sur les maladies du cœur. Vous permettez que je vous pose quelques questions?

Bof, je n’avais que mon temps à perdre, tant qu’à attendre le bus, et j’étais soulagé de voir qu’il ne m’imaginait pas en sauce avec des petits oignons. J’acceptai.
Vinrent les questions d’usage, âge, profession, etc. Il esquissait de temps à autres un petit sourire de satisfaction, sourire particulièrement appuyé lorsque fut le temps des questions sur mes habitudes alimentaires. Vrai qu’à m’écouter répondre, je n’étais pas fier : si c’est gras, poilu et que ça se fait livrer, j’en mange.
Plus les questions défilaient, plus il semblait jubiler. L’extase se lisait carrément sur son visage à la fin du questionnaire :

– Combien de fois par semaine faites-vous de l’exercice?
– C’est quoi ça de l’exercice? Héhé.
– Avez-vous déjà consommé de la drogue?
– Ben kin…
– Lesquelles?
– Euh…toutes, je pense…sais pus trop…
– Vous fumez?
– Oui.
L’apothéose! Il en tremblait.
– Combien de cigarettes par jour?
– Je pourrais vous le dire en paquets, moins compliqué à…

Sans prendre le temps d’entendre la fin de ma réponse, il me coupa la parole, remballa son questionnaire dans son cartable et me tendit une main poisseuse.

– Excellent mon cher monsieur, vous avez été parfait! On passe vous prendre ce soir!

C’est à ce moment qu’arriva l’autobus, vomissant son lot de zombies. Se frayant un chemin entre eux, Madeleine s’en extirpa, toute belle d’été vêtue. Elle me sauta au cou, m’embrassa comme si ça faisait dix ans que nous ne nous étions vus, comme si le sort du monde en dépendait, langoureusement, sauvagement, amoureusement. Je n’avais pas attendu pour rien. Nous nous en allâmes vers la maison, main dans la main, emmenant avec nous le bonheur des gens qui se retrouvent. Avec un clin d’œil, Madeleine me demanda :

– T’as vu derrière, à l’arrêt d’autobus? Y’a un fou qui mange un cartable en piétinant le sol…


Désolé mon vieux, ce soir j'ai mieux à faire…

4 commentaires:

Patrick Dion a dit...

Oufff, j'ai eu peur ! Si c'est gras et poilu, c'est que c'est ni toi ni moi !

Lagreff a dit...

Ouf, je ne l'avais pas vu comme ça.
Sacré Cerbère, va. ;-)

Bertrand a dit...

Le fou au cartable c'était pas moi j'espère?
(Passe ca se pourrait)

Galad a dit...

Moi, j'arrête de m'épiler.